Paganini une révolution

Paganini une révolution

 

 

 

Quand Paganini a composé ses Caprices, il a révolutionné la technique du violon. On peut dire qu’il y a eu un « avant » et un « après » Paganini et qu’une œuvre comme le Concerto pour violon de Brahms résulte d’une certaine manière de la composition par Paganini des Caprices. Hors même les aspects techniques, ce qui est fascinant dans les Caprices, c’est que l’on a l’impression d’assister à une série d’opéras en miniature.

 

Le caractère en est souvent très espiègle, plein de lumière. Il m’a bien sûr fallu réfléchir de façon très approfondie à la meilleure façon de les jouer à l’alto. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que Niccolò Paganini était altiste et je me suis plu à imaginer qu’il jouait ces Caprices à l’alto. J’ai donc pris le parti, suite à toute cette réflexion, de réaliser ma propre transcription des Caprices.

 

 

 

Un univers poétique

 

 

 

Pour les violonistes, jouer les Caprices de Paganini, cela s’inscrit nécessairement dans l’exercice de la virtuosité, la

 

démonstration de bravoure. En les adaptant à l’alto, j’ai essayé au contraire de me les approprier, un à un, et de réfléchir très en profondeur à leur substance, à la richesse extrême de ce matériau et à sa substance poétique, non à la difficulté d’exécution, même si elle est très réelle et incontournable. Je me revois devant la partition, essayant de jouer sans tension, cherchant à élaborer un discours.

 

Je joue un Jean-Baptiste Vuillaume de 1865, une copie de Stradivarius, un instrument de sonorité très claire et chaleureuse - il m’a fallu sept ans pour le faire sonner comme je le souhaitais. Là aussi, c’est une appropriation. J’ai d’ailleurs choisi d’enregistrer les Caprices avec un archet de François Peccatte en bois d’amourette, dans l’idée d’obtenir une sonorité chaleureuse et une grande précision de jeu.

 

 

 

Au-delà de la virtuosité

 

 

 

On considère généralement les Caprices de Paganini comme des études de virtuosité très écrites, mais je pense qu’il a dû transcrire également des séquences qu’il avait improvisées, lors des joutes musicales entre violonistes qui avaient lieu à l’époque. Car je ressens une grande liberté dans cette écriture, avec une extrême variété des tempi, des modes de jeu, et bien sûr un lien presque constant avec le monde de l’opéra, du bel canto. Et j’essaie moi aussi d’imaginer ce qu’en ferait un chanteur, en réfléchissant à la façon la meilleure de respirer. Je crois que mon jeu, pour ces Caprices, n’est pas du tout dans la frénésie instrumentale. Paganini lui même a sans doute vécu frénétiquement. Il était joueur, il a perdu son violon au casino, il est mort ruiné. Il a été adulé de son temps, suscitant un véritable mythe, par son excentricité, sa façon de s’habiller, sa silhouette hors norme, etc. Mais si l’on va au-delà de ces aspects assez anecdotiques, on ressent dans sa musique une sensibilité très aiguë, une humanité, une intelligence absolument exceptionnelle. Je crois que c’était un artiste très en avance sur son temps, qui n’était pas nécessairement compris dans toute sa profondeur. Au fond, il me semble que j’ai essayé, dans ma vision des Caprices, d’aller au-delà des apparences, de chercher à atteindre la substance poétique de chacun des Caprices. Aller à l’essentiel dans les Caprices de Paganini, c’est ne pas se perdre dans le décoratif. Le 6e par exemple, très difficile pour la main gauche, il faut le voir comme une sorte de brise, une avancée dans l’ombre. C’est à la fois énigmatique et optimiste…

 

 

 

Une entreprise de longue haleine

 

 

 

Pendant 3 ans, j’ai travaillé matin et soir sur cet enregistrement. Je suis passionné par Paganini depuis l’enfance - j’étais d’abord violoniste et ai commencé l’alto vers l’âge de 16 ans. D’ailleurs je suis entré au CNSMP la même année en violon et en alto, j’ai suivi les deux classes parallèlement. On navigue entre les deux beaucoup plus aisément qu’on ne le croit généralement. Enregistrer à l’alto

 

l’intégrale des Caprices de Paganini, comme je l’ai fait, n’a de sens pour moi qu’en relation avec une méthode de travail ainsi qu’avec l’édition de la partition telle que je l’ai mise au point. C’est une sorte de grand « Paganini Project » que je souhaite mettre en oeuvre. Cela n’aurait, en revanche, aucun sens, de jouer cette intégrale en récital – de même que l’on n’aurait pas idée de servir dans un restaurant digne de ce nom une succession de sucreries, ce qui serait parfaitement indigeste… ! En réalisant cet enregistrement, j’ai pensé aux générations futures, à la possibilité pour les altistes de s’approprier à leur tour ces pièces extraordinairement riches, jubilatoires dans leur mélange de brillance et de profondeur, de vitalité spectaculaire et d’émotion, parfois même d’anxiété. Paganini était un grand voyageur, il a eu beaucoup de maîtresses, il aimait la vie… Et puis, il y a aussi ce côté dansant si important dans cette musique. Il y avait d’ailleurs pour moi un baromètre très fiable, lorsque je travaillais chez moi les Caprices : le fait de voir ma fille, qui avait quatre ans à l’époque, se mettre à danser en m’écoutant, c’était le signe le plus évident que j’étais dans la bonne direction… J’ai appris à nager seul dans les Caprices de Paganini. Mis à part celle d’Itzhak Perlman quand j’étais jeune, je n’ai pas écouté d’autre version des Caprices avant de les travailler. Lorsque cela m’arrive, j’ai souvent le sentiment que c’est soit trop rapide, soit trop en mesure, ou bien ça ne respire pas suffisamment, ou bien j’ai l’impression qu’il n’y a pas de réelle réflexion en arrière-plan. J’ai pris quant à moi la partition et je suis allé à la recherche de la palette sonore la plus riche et la plus expressive possible. Dans mon travail d’altiste en général, il me semble que je bouscule un peu la palette sonore, j’écarte les tessitures, je réalise des adaptations (par exemple une transcription pour alto de la Sonate op. 40 de Chostakovitch pour violoncelle et piano). L’alto a vraiment cette capacité d’aller vers le violon, ou vers le violoncelle, d’être le lien entre eux.

 

 

 

Fantasmagories

 

 

 

Il n’y a pas de fossé, je crois, entre mon travail sur les Caprices de Paganini et mon interprétation des pièces pour alto de Schumann (Märchenbilder) : les deux musiciens se ressemblent dans leur vision du monde fantastique et de l’excentricité. Dans les Contes de fées de Schumann, je vois des dragons, des elfes, quand je joue les Caprices de Paganini c’est la même chose… Ce n’est pas un hasard si l’on a dit que Paganini était un sorcier, qu’il avait fait un pacte avec le Diable. À mon oreille, c’est simplement que sa musique a la capacité de créer toutes sortes d’univers fantastiques. Cela ouvre également des perspectives pour les compositeurs, le fait de voir que dans l’écriture harmonique, l’alto peut réaliser des choses que l’on n’aurait pas soupçonnées. Au point de vue harmonique justement, j’ai longuement réfléchi à l’interprétation de ces Caprices, en écartant ou en resserrant l’écart selon que le mode est majeur ou mineur, pour produire des effets plus ou moins lumineux ou sombres. C’est là où l’objet musical est très intéressant ; c’est une volonté expressive absolument assumée. Au fond, la pensée de Paganini est une pensée du chant, pas uniquement du violon. Il a réellement dépassé son instrument, c’est là où cela prend tout son sens.

 

 

— Pierre Lenert —

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